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Raoul et Jean Brunon, combattants de la Grande Guerre, patriotes et collectionneurs

mercredi 17 septembre 2014, par Jean-Noël BRET, président de l’association des Amis du Musée de l’Empéri


Il serait difficile, à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale de ne pas évoquer à Marseille la mémoire de Jean Brunon et celle de son frère aîné, Raoul, tous deux marseillais et combattants de la Grande Guerre.


Raoul est mort pour la France, au Chemin des Dames, en 1917, et Jean, en mémoire de son frère, consacra le reste de sa vie à l’oeuvre qu’ils avaient commencé d’entreprendre ensemble : une collection de souvenirs et de documents sur l’armée française de la fin du règne de Louis XIV à la Première Guerre mondiale. Cette collection devint si importante qu’elle fut rachetée par l’Etat en 1967 et, sous la tutelle du Musée de l’Armée, installée au château de l’Empéri à Salon-de-Provence, devenant ainsi le «  Musée de l’Empéri ».

Considérée comme la plus importante collection au monde, au moins par sa qualité, pour le Premier Empire, le journal "L’Illustration" lui consacrait déjà, en 1935, un article de trois pages en couleurs – chose tout à fait exceptionnelle à l’époque – disant que c’était un « ensemble non seulement unique en France, mais tel qu’aucune nation étrangère n’en possède d’approchant en ce qui concerne sa propre armée […] présentée de façon attrayante, dans un local approprié, et rendue publique, elle formerait un ensemble grandiose, immédiatement célèbre dans le monde entier… ».

Jean Brunon survécut à son frère et mourut en 1982 après avoir pu réaliser ce rêve : faire de sa collection un musée dédié à la mémoire de son aîné.

Rien n’explique mieux l’histoire des frères Brunon et l’origine de cette oeuvre de mémoire unique, la collection Raoul et Jean Brunon, que cet extrait de lettre de leur mère à Raoul à la veille de Noël 1914 alors que tous deux venaient d’être mobilisés : « La fin de cette année sera triste sans nos deux fils auprès de nous, écrivait-elle ; mais depuis qu’ils étaient tout petits, à chaque nouvel an, avec leurs uniformes et leurs sabres tout neufs, nous donnions à chacun cet amour de la patrie qu’ils voulaient déjà servir ! C’était bien pour en arriver là et aujourd’hui ils voient la guerre et si Dieu le veut nous verrons tous la revanche ».

La Revanche. Effacer l’humiliation de 1870. « Y penser toujours et n’en parler jamais », selon l’expression d’une époque dont les tragédies d’un siècle nous ont amenés à reconsidérer la mentalité. C’était bien ce qui les animait depuis l’enfance, entretenus qu’ils étaient dans ce que les historiens de la Première Guerre mondiale, Stéphane Audouin-Rouzeau et Annette Becker, ont appelé une « culture de guerre ». Images d’Epinal, soldats plomb et tenues militaires pour enfants constituaient leurs jouets favoris.

Jean écrira d’ailleurs plus tard à propos de son frère : « Dès qu’il fut en âge de comprendre, une passion le saisit, l’amour profond, absolu, jaloux de la Patrie […] En ce cerveau d’enfant, l’image de l’Allemagne victorieuse était une obsession inspirée, fortifiée, amplifiée par les lectures des manuels de Lavisse, les romans d’histoire et de fictions du Capitaine Danrit, les chansons de Déroulède ».

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A gauche la vareuse en drap de laine bleu foncé (vers 1916) de Raoul BRUNON qui était Sergent au 14ème bataillon de Chasseurs Alpins. A droite celle ayant appartenu à Jean BRUNON en drap de laine bleu horizon (vers 1917 - 1918), il était Maréchal des logis au 57ème régiment d’Artillerie de Campagne.

Ils habitaient rue Consolat à Marseille, au numéro 174, où leur père, riche négociant en tabac d’origine rouennaise avait fait construire dans les dernières années du siècle un hôtel particulier de style composite, proche de celui de la famille Grobet-Labadié. Dans cette maison, Jean Brunon allait rassembler à partir du lendemain de la guerre une formidable collection qui ne comptait encore que 300 pièces à leur départ pour le front en 1914 mais 10.000 au moment de son acquisition par l’Etat en 1967. Si bien que, comme le raconte sa fille dans l’importante monographie sur la collection que l’association des Amis du Musée de l’Empéri a fait éditer en 2006 [1] la collection étant devenue si envahissante, la famille avait fini par se réfugier au dernier étage mansardé de la maison. Les pièces des trois étages inférieurs étaient entièrement occupées de mannequins en tenues d’époque, de panoplies et de rangées d’armes, de rayonnages et d’armoires de livres et d’archives, de coffres et de caisses (à tabac) remplis d’uniformes et même de chevaux, grandeur nature, entièrement équipés et montés de leurs cavaliers. La chambre de Raoul y resta jusqu’à la vente de la maison, au début des années 1970, telle qu’elle était au moment de sa mort en 1917, telle un sanctuaire, une copie du drapeau de son unité posée sur le lit.

Noël 1908 fut pour les deux frères un moment déterminant. Un oncle rouennais leur offrit un fusil français et un casque bavarois de la guerre de 1870 ainsi qu’un shako du Second Empire. Ils avaient jusque là collectionné les soldats de plomb ou de carton découpé. La découverte d’objets authentiques allait être une révélation, leur ouvrant la voie d’une passion : la collection.

Plus tard, à l’armée même, sur le champ de bataille, Raoul, qui servait dans les chasseurs alpins, collectait des objets pour leur futur musée. Dans sa lettre-testament écrite quelques jours avant l’attaque du fort de la Malmaison, au Chemin des Dames, où il allait trouver la mort, le 23 octobre 1917 à l’âge de 25 ans, il écrivait à ses parents, en pensant à leur futur musée : « La providence gardera Jean pour qu’il fasse ce que je voulais contribuer à faire ». Et Jean, quant à lui, dans l’artillerie, alors qu’il voyait refluer vers l’arrière des colonnes de prisonniers allemands, prélevait avec une paire de ciseaux les pattes d’épaule des différents régiments ennemis. On les possède encore au Musée de l’Empéri, avec une photo le montrant en train de s’affairer avec ses ciseaux sur l’épaule d’un prisonnier. Au lendemain de la guerre, pendant trois ans, il revint sur le terrain des combats, collectant alors les traces modestes et sans valeurs de la vie des tranchées, celles qui avaient marqué le quotidien des soldats pendant quatre ans : pancartes de bois, panneaux de signalisation qui indiquaient les abris, les ambulances ou les dépôts divers. Objets de si peu d’intérêt alors que personne ne pensait à les recueillir. Ils sont si rares aujourd’hui que l’ensemble qu’il a ainsi constitué occupait un mur entier de la grande exposition « 1917 », au Centre Pompidou de Metz en 2012.

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Jeune tambour de chasseur et Garde national de Paris 1814.

Entre les deux guerre Jean Brunon rassembla donc l’essentiel de cette énorme collection en courant les salles de ventes et les magasins d’antiquités, en fouinant chez les costumiers et en réussissant à attirer des dons importants. Il réunit ainsi des objets de premier ordre : le plus ancien uniforme de troupe de l’armée française, si précieux que le Musée de l’Armée l’intégra immédiatement dans ses propres collections aux Invalides, à Paris ; la seule paire conservée de chaussures militaires du XVIIIe siècle ; la tenue d’ordonnance d’un maréchal de camp de 1775 en parfait état ; des tenues et souvenirs extrêmement rares des armées révolutionnaires ou de l’armée de Condé ; la seule coiffure de mameluk parvenue jusqu’à nous, ou encore le pavillon personnel de Napoléon à l’île d’Elbe, des uniformes et objets ayant appartenu aux plus célèbres généraux et maréchaux de l’Empire : Bessières, Bertrand, Davout, Eugène de Beauharnais ; des drapeaux et étendards des plus prestigieux régiments de la Garde impériale. La collection comprend également des ensembles exceptionnels pour la Restauration, l’Armée d’Afrique, le Second Empire et la Grande Guerre bien sûr. Il faut y ajouter les tableaux, les gravures, des documents rares, une immense documentation et une bibliothèque importante, malheureusement dispersée au début des années 2000, faute d’avoir été rachetée par l’Etat.

Avant même la création du musée, Jean Brunon s’appliqua à faire découvrir sa collection. Il organisa ainsi dès les années 1930, et plus tard avec son fils Raoul – ainsi prénommé en mémoire de son oncle mort pour la France –, une quarantaine d’expositions, non seulement en France, mais aussi au Japon, au Canada ou aux Etats-Unis, confortant ainsi la réputation internationale de la collection. Celle qu’il consacra à « L’Armée d’Afrique » au Palais de la Bourse à Marseille en 1955 fut placée sous le haut patronage du président de la République, René Coty. Le maréchal Juin et le général de Montsabert, le libérateur de Marseille, faisaient partie du comité d’honneur.

En 1936 fut créée l’association des Amis de la collection Raoul et Jean Brunon sous le patronage du Prince Louis II de Monaco, du maréchal Franchet d’Espérey, et du général Weygand. Elle deviendra en 1968, après l’achat de la collection par l’Etat, l’association des Amis du Musée de l’Empéri.

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Jean Brunon en 1976

En 1942, lorsque les Allemands envahirent la zone sud, Jean Brunon recueillit et cacha les drapeaux des régiments de la XVe Région militaire et les fichiers de la Légion Etrangère activement recherchés par les nazis. La collection, déménagée in extremis dans la propriété familiale de Fourquevaux, près de Toulouse, y resta cachée pendant le reste de la guerre.

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Jean Brunon décoré de la Légion d’honneur par le colonel commandant la Légion Etrangère à Aubagne, dans les années 1964.

En 1946 et 1947, faisant partie des commissions de récupération des oeuvres d’art et des collections emportées par les nazis, il participa à la recherche et au retour des collections du musée de l’Armée, notamment de l’armure de François 1er, un des joyaux du musée.

Au début des années 1960, cherchant à faire acquérir sa collection par l’Etat, il lui fallait aussi trouver un lieu pour l’accueillir. Il pensait bien sûr à Marseille. Il fut question du fort Saint Jean mais Gaston Defferre y renonça, les travaux nécessaires s’avérant trop onéreux et la salinité de l’air marin étant jugée néfaste pour la conservation des collections. Le maire de Salon-de- Provence, Jean Francou, se proposa alors de la recevoir au château de l’Empéri après le succès de la 21ème exposition de la collection, sur le thème de la Grande Armée, à Salon en 1965, et la visite, rue Consolat, deux ans plus tôt, de Pierre Messmer, ministre des Armées, qui la fit acheter par l’Etat. Elle fait donc depuis partie du Musée de l’Armée, avec la mention spécifique « collection Raoul et Jean Brunon ».

Dès 1968, 7 salles provisoires étaient ouvertes et, après d’importants travaux, le musée était achevé en 1973. Il compte aujourd’hui 27 salles, avec près de 150 vitrines et plus de 120 mannequins. Connu dans le monde entier, en particulier pour ses collections napoléoniennes, il est incontestablement un des trésors historiques précieux du patrimoine de notre région, abrité dans le site magnifique du plus ancien château-fort de Provence, un des trois plus importants avec celui de Tarascon et le Palais des Papes d’Avignon.

Elu à l’Académie des Sciences, des Lettres et des Arts de Marseille en 1950, Jean Brunon fut décoré de la Légion d’honneur par le colonel commandant la Légion Etrangère dans la cour centrale de la caserne d’Aubagne, mais la distinction dont il était le plus fier, qu’il reçut en particulier pour avoir caché à ses risques et périls les fichiers de la Légion pendant l’Occupation, était d’avoir été fait caporal-chef honoraire du 1er Régiment Etranger.

Article à paraître dans la revue « Marseille », novembre 2014, consacré à la Grande Guerre

Pour en savoir plus
Site du Midi libre : J’aime les musées et les vieilles pierres,
Bleu Horizon, exposition faite a Le Pontet en 2006.
Encyclopédie Wilkipédia,
Le site du Musée de l’Empéri,
L’association des amis du Musée de l’Empéri,




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