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Faire prendre des vessies pour des lanternes ?

« (Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages »-Michel Audiard)

jeudi 9 octobre 2014, par Jean-Jacques BUIGNE membre du CA de la FPVA


7 octobre 2014, les pages d’actualité de nos messageries internet publient un communiqué des services de police indiquant que 44 personnes ont été appréhendées et placées en garde à vue dans le cadre d’une vaste opération appelée « Armes78 », visant le trafic d’armes via internet.

- BFMTV. du 7 octobre 2014.
- Voir aussi l’article : Est-il facile de remettre en état une arme neutralisée ? [1]
- Le point. du 7 octobre 2014.

Nous avions pris l’habitude de répondre à toutes les demandes des journalistes, même si cela peut présenter un risque de manipulation. Le risque est moindre que la chaise vide. Aujourd’hui avec cet article, nous prenons les devants et nombre de médias pourront s’en inspirer.


L’affaire est présentée par les services de police et de gendarmerie comme une nouvelle preuve de la « porosité » entre les milieux de la délinquance et ceux des collectionneurs d’armes. Il apparaît à l’équipe de réflexion de l’UFA [2] que cette thématique de la « porosité » relève de l’intoxication pure et simple.

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Au moment de leur reddition, les troupes de la Wehrmacht déposent leurs armes devant les Alliés. Les souvenirs des deux guerres mondiales ont constitué la base de beaucoup de collections jusqu’aux alentours de l’an 2000. Depuis cette époque, leur raréfaction et leur enchérissement ont incité beaucoup de jeunes collectionneurs à s’intéresser aux armes de la guerre froide qui arrivent aujourd’hui en masse d’Europe de l’Est.


Porosité ? Il ne faut pas jeter l’anathème sur une catégorie de citoyen. Il y a le même pourcentage de dérive chez les collectionneurs, que de ripoux dans la police ou dans la magistrature, que de ministres corrompus ou de fonctionnaires prévaricateur. Tout le monde est logé à la même enseigne.
Il faut cesser de mettre l’ensemble des collectionneurs en accusation à chaque fois que l’un d’entre eux a un problème d’armes prohibées.

Des collectionneurs normaux !

Les collectionneurs sont, dans leur grande majorité, des gens bien intégrés à la société, qui ont une vie professionnelle et familiale normale. Tous comme le gérant de la société mise en cause que l’on cherche à faire passer pour un trafiquant d’armes alors qu’il est tireur sportif, chasseur et collectionneur depuis de longue date. Alors que certains de leurs concitoyens se passionnent pour le vélo, le football, la moto, la musique ou collectionnent les papillons, nos adhérents vivent une passion particulière, pour le tir, les armes et l’histoire militaire. Au prix de trésors d’ingéniosité et de sacrifices financiers souvent importants, ils parviennent à rassembler des collections d’importance variable, qui leur apportent du bonheur et leurs permettent de s’extraire de leurs soucis quotidiens. Certains sont également tireurs et pratiquent dans ce cas leur sport au sein de la Fédération Française de Tir. Dans ce cadre, ils sont soumis à une discipline et à des contrôles rigoureux, c’est sans doute pourquoi les armes qu’ils utilisent ne sont jamais impliquées dans dans des affaires de droit commun.

Les collectionneurs achètent des armes qu’ils vont chouchouter avant de les exposer dans leur vitrine. La moindre rayure ou le moindre point de rouille sur ces pièces va les rendre malades. Pour ces raisons, il est impensable qu’ils consentent seulement à les glisser dans leur ceinture.

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Soldats canadiens cherchant de la place pour stocker des carabines K98k prises sur la Wehrmacht aux Pays-Bas. L’encombrement des dépôts, la monopolisation des moyens de transport par la poursuite des combats n’ont permis de soustraire ces armes à la convoitise des chasseurs de souvenirs que bien longtemps après la Libération. Dans l’intervalle, nombre d’habitants (parmi lesquels beaucoup d’enfants) seront venus prélever un souvenir.

On ne peut toutefois nier qu’une passion trop forte pour les armes ou une mauvaise information puisse parfois entraîner certains collectionneurs à acquérir des pièces illégales. L’UFA s’attache à les informer le mieux possible sur les armes dont le classement peut être mal interprété et intervient auprès de l’administration pour qu’elle lève les ambiguïtés existant dans la rédaction de certains textes. Ces ambiguïtés portent sur des détails : par exemple, savoir si un Lebel R35 est classé en catégorie C ou D2, ou si un Colt modèle 1901 est en catégorie B ou D2. Ces détails importent beaucoup aux collectionneurs, mais ces armes dépassées n’intéressent pas les truands et ne doivent pas non plus beaucoup passionner la police !

Les voyous ne voient dans l’arme qu’un outil et un symbole de puissance. Il leur faut donc des armes modernes et à grande puissance de feu pour impressionner leurs concurrents et leurs victimes, et parfois même pour s’opposer à la police.
Nous avons donc affaire à deux mondes totalement différents. A la lueur de notre expérience, nous ne croyons pas plus à l’existence de collectionneurs truands qu’à celle de truands collectionneurs. S’il en existe, ils collectionnent plutôt les maîtresses voyantes, les comptes en banque dans des paradis fiscaux ou les voitures de luxe, que les armes anciennes !

Les truands cherchent des outils de travail modernes, efficaces et fiables. Ces outils participent aussi à leur statut social et autant un « homme » porteur d’un Glock 9 m/m Parabellum à chargeur de 18 cartouches sera respecté, autant celui qui s’aviserait d’exhiber un revolver modèle 1892 serait définitivement couvert de ridicule !

Alors quelles questions poser à propos de tout ce battage ?

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A la différence de celle de beaucoup de nos voisins européens, l’histoire de notre pays n’a jamais connu de réel apaisement après la Seconde Guerre Mondiale. Initiés à la détention d’armes clandestines pendant la résistance, nos concitoyens n’ont pratiquement jamais cessé de les côtoyer par la suite. On voit ici un volontaire des « milices patriotiques » constituées à la hâte par le gouvernement de la quatrième République quand il craignait un coup d’état militaire en 1958. Ce volontaire, affublé d’une tenue mal ajustée, a reçu des autorités une carabine USM1. (D.R.)

Existe-t-il réellement une « porosité » entre le monde des collectionneurs et la pègre ?

Si l’on s’en rapporte au dictionnaire Larousse la porosité est la caractéristique de ce qui est poreux, donc de corps présentant des « pores » c’est à dire des orifices de passage microscopiques. Les services responsables du choix de ce terme l’ont donc bien choisi : d’une part parce qu’il est original et qu’il parle à l’imagination et qu’à ce titre il va être adopté par la presse, d’autre part parce qu’il reflète bien la réalité : si des passages ont pu exister entre collectionneurs et truands, ils se sont produits à une échelle très réduite, voire microscopique.

S’il existe une porosité, c’est sans doute au niveau de certains vendeurs qui peuvent être tentés de ravitailler la pègre, capable de payer très cher les armes dont elle a besoin (le trafic de drogue lui procure les moyens de satisfaire ses désirs !), tout en vendant également des pièces légales ou à la limite de la légalité aux collectionneurs pour se constituer une « couverture » de commerçants respectables, ce qui ne semble pas être le cas de la société mise en cause dans cette affaire.
Mais la supercherie ne peut durer longtemps. Par contre, lorsque ces gens sont appréhendés, leurs ordinateurs et leurs carnets d’adresse sont examinés et c’est alors le drame pour leur clientèle de collectionneurs qui découvrent eux aussi la poésie des visites domiciliaires matinales, des gardes à vue, des mises en examen, voire des incarcérations !
Tout achat, même innocent, fait sur internet, inscrit chacun d’entre nous pour des années dans la mémoire de l’ordinateur du vendeur. Acheter une plaque de couche ou une paire de plaquettes est parfaitement légal, mais si la malchance fait que vous l’achetiez à un individu pisté, il y a de gros risques pour que la police vous demande quelques mois plus tard des explications sur la finalité de cet achat.

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Après la fin du régime communiste, des pistolets Makarov (attachés chacun par une ficelle à leur chargeur de rechange) sont envoyés en destruction. Les pays du Pacte de Varsovie avaient constitué des arsenaux considérables dont seule une infime partie a été détruite. (D.R.)

On peut imaginer par exemple une question du genre : « Ces plaquettes de GP35, que vous avez achetées à monsieur X : pouvez-vous nous dire ce que vous vouliez en faire ? ». A ce moment, n’essayez surtout pas de répondre aux enquêteurs que vous faites collection de plaquettes, car les fonctionnaires n’apprécient généralement pas qu’on les prenne pour des truffes ! Par contre, si vous pouvez leur présenter un beau GP35 neutralisé par le Banc d’Epreuve de St-Étienne et dûment muni de son certificat de neutralisation, les choses se passeront beaucoup mieux. Encore faudra-t-il que lors du coup d’oeil rapide sur votre collection qu’ils ne manqueront pas de faire avant de prendre congé, les enquêteurs ne tombent pas sur du matériel prohibé. Alors là vous êtes bon.

C’est pourquoi les annonceurs qui proposent du matériel douteux mettent en danger toute la communauté des collectionneurs honnêtes.

Demander à un site le retrait d’une annonce portant sur du matériel délictueux est un devoir pour chacun d’entre nous [3].

Selon la vieille expression militaire « Rendre compte, ce n’est pas moucharder ».

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Exposition d’armes saisies par la police mexicaine chez un narco-trafiquant.

Amis collectionneurs, un seul conseil si vous persistez à fréquenter ce genre de vendeurs : portez des mocassins et un pantalon ajusté, vous aurez l’air moins bêtes quand on vous aura confisqué lacets et ceinture pendant votre garde à vue !
Mais gardons nous bien de jeter le discrédit sur le gérant de la société mise en cause qui apparait plutôt comme étant une personne honnête et un collectionneur averti, c’est a dire un collectionneur normal. Les suites de l’instruction démontrerons sont implication ou non dans un trafic de matériel prohibé. Au vu des éléments dont nous disposons, cela ne semble pas être le cas. Cette société semble tout aussi victime que ses clients du discrédit qui a été jeté sur eux par quelques malfrat connu de la justice.
Pourait-on incriminer un concessionnaire de voiture de sport pour les excès de vitesse commis par une partie infime de ses clients ?

Vend-on couramment des armes prohibées sur internet ?

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La plupart des collectionneurs savent pertinemment que les annonces des sites spécialisés sont étroitement surveillés par les services de police, de gendarmerie et des douanes. A moins d’être complètement inconscients (cela arrive !), les vendeurs évitent donc d’y proposer ouvertement du matériel prohibé. Par contre nous avons vu des vendeurs essayer de masquer la vente d’un pistolet semi-automatique de catégorie B en répartissant les pièces de l’arme sur plusieurs annonces : l’arme était alors en quelque sorte vendue en puzzle.

Chacune des pièces concernées (canon, carcasse, glissière, chargeur, système de percussion) étant de toutes façons interdite à la vente individuellement, les responsables du site se sont empressés de supprimer cette série d’annonces !
Nous avons également souvent remarqué des annonces proposant des armes de catégorie B pouvant être confondues avec des armes de catégorie D2 aux yeux de collectionneurs maîtrisant encore mal les finesses de notre nouvelle législation ; ainsi des armes d’un modèle antérieur à 1900 mais maintenues en catégorie B par l’arrêté du 2 septembre 2013 (armes à dangerosité avérée ) sont-elles parfois présentées comme des armes de catégorie D2 : revolvers modèle 1892 français, modèle 1882 suisse, Smith & Wesson Hand Ejector etc.. Il faut toutefois souligner que ce phénomène est tout à fait anecdotique et que depuis le changement de législation de septembre 2013, les dérives que nous avons constatées sur le sites que nous consultons sont très rares.

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Exposition des devises saisies chez le même trafiquant. Le trafic de drogue génère des bénéfices tels que ses auteurs peuvent financer l’achat d’armes et d’équipements sophistiqués.
Impossible pour un collectionneur de générer un tel pactol. (D.R.)

Les responsables de ces sites, qui suppriment rapidement les annonces fautives ou simplement douteuses, s’attitrent souvent d’amères récriminations de leurs auteurs ! Pourtant, en agissant ainsi, ils protègent tout autant le vendeur (qui sinon finira inévitablement par se faire prendre), que les acheteurs naïfs qui, en se portant acquéreurs, risquent de se jeter dans la toile d’araignée des organes de répression du trafic d’armes !

Et puis il y a les vendeurs particuliers qui mettent en vente des armes de catégorie C qu’ils n’ont pas déclarées eux même. Lors de la transactions, ils sont bien incapables d’effectuer les formalités imposées par la règlementation.

Les armes neutralisées à l’étranger posent-elles un réel problème ?

La problématique de ces armes vient de l’absence d’accord de reconnaissance mutuelle du mode de neutralisation (comme cela existe pour l’épreuve des armes de chasse par exemple) entre les différents pays de l’Union Européenne. C’était prévu par la réglementation mais jamais rentré en application faute de reconnaissance réciproque.
Depuis cette époque, la plupart des pays ont évolué vers des modes de neutralisation assez voisins, qui rendraient plus facile la solution de ce problème, si les autorités voulaient vraiment s’y attaquer.
Faute d’accord, les services de police ont tout d’abord estimé que les neutralisations étrangères n’étaient pas valables en France. Plusieurs affaires, au cours desquelles des prévenus ayant importé des armes neutralisées par des bancs d’épreuve étrangers ont été relaxés, ont contribué, dans les années 2000, à la constitution d’une jurisprudence qui a fait admettre que des armes neutralisées par un organisme officiel d’un pays de l’UE et accompagnées d’un certificat pouvait être considérées comme légales en France si la neutralisation était techniquement équivalente à la neutralisation française.
Les prises de position de la Direction Générale des Douanes et du Contrôle Général aux Armées sont ensuite venues renforcer cette interprétation favorable. Voir article.

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Le colonel Kadhafi, enrichi par les revenus du pétrole libyen, avait acheté d’énormes quantités d’armes moins destinées à équiper son armée qu’à ravitailler le terrorisme international. Parmi celles-ci, 250 000 fusils d’assaut légers belges (FAL), que les insurgés ont trouvés à l’état neuf, encore emballés dans leur boîte de polystyrène d’origine.

L’entrée en vigueur de la nouvelle législation devait clarifier et simplifier les choses.

Hélas, il n’en a rien été. Si désormais notre législation reconnaît bien les neutralisations étrangères mécaniquement équivalentes à la neutralisation française, pratiquées dans un pays de l’UE, elle exige que l’opération soit attestée par un poinçon et un certificat. Ces dispositions, loin de simplifier les choses, ne font que renforcer la confusion, ceci pour deux raisons :
- dans certains pays la neutralisation de l’arme ne comporte pas la destruction de l’éjecteur et la neutralisation du chargeur exigées en France. Les armes sont importées et vendues telles qu’elles dans notre pays, ces différences techniques peu apparentes échappent souvent à l’acheteur, d’autant plus en confiance que les vendeurs leur affirment avec assurance que l’arme ayant bénéficié d’une « neutralisation européenne » (terme purement imaginaire), est totalement légale en France. Hélas, beaucoup d’acheteurs ignorent que tant qu’une lèvre de son chargeur n’auront pas été meulés, l’arme restera classée dans sa catégorie d’origine, donc illégale,

- si la plupart des pays européens attestent de la neutralisation par un certificat officiel, beaucoup n’apposent pas (ou pendant longtemps n’ont pas apposé) de poinçon sur les armes neutralisées. Ces armes ne répondent donc pas aux conditions de la réglementation française exigeant « poinçon et certificat » cela alors que l’UFA, avait demandé au ministère qu’il soit seulement demandé « un poinçon ou un certificat ».

Pour toutes ces raisons, on peut estimer :
- il faut bien reconnaître que si l’administration avait voulu créer des délinquants elle ne s’y serait pas mieux pris pour rédiger l’article du décret du 30 juillet 2013 concernant les neutralisations étrangères !
L’enquête de police est une chose, le jugement correctionnel en est une autre. On peut donc espérer que les collectionneurs de bonne foi qui ont acquis une arme incorrectement neutralisée à l’étranger ne seront pas trop lourdement condamnés pour cette imprudence. Ils pourront certainement défendre leur cause et justifier leur erreur, à condition que lors de la perquisition déclenchée par l’achat de cette arme, les enquêteurs n’aient rien trouvé d’autre de répréhensible chez eux. Et dans ce domaine, en dehors des collectionneurs exclusifs d’armes à silex ou d’épées médiévales, rares sont les gens totalement irréprochables : qui en effet ne possède pas un de ces objets anodins mais toutefois illégal, comme un chargeur, une cartouche mal neutralisés ou un obus de 37mm désamorcé depuis la Première Guerre Mondiale qui prend la poussière sur le manteau de la cheminée ? En voulant trop en faire, le législateur a créé des délinquants involontaires !

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Poinçon de neutralisation apposé par le Banc d’Epreuve de Cologne sur une arme désactivée. L’absence d’homogénéisation des réglementations européennes sur la neutralisation des armes favorise le trafic. (D.R.)

Les armes neutralisées à l’étranger sont-elles achetées pour être réactivées

La question de la réactivation des armes neutralisées à l’étranger est souvent évoquée. Quelques spécialistes très bien équipés et ravitaillés en pièces détachées s’étaient fait par le passé une spécialité de ces « restaurations » ; mais ils sont aujourd’hui logés aux frais de l’Etat et à l’ombre. Le commerce de ce genre de pièces passe en effet rarement inaperçu de la police, qui possède des experts capables de dire si une arme saisie est ou non une arme neutralisée remise en état. Dès que ce genre de fait est constaté, les services concernés mettent toute la pression pour remonter jusqu’à l’atelier responsable de ces réparations. Les détenteurs des pièces délictueuses, qui sont rarement des hommes d’honneur, ne se font guère prier pour indiquer leurs fournisseurs en échange de quelques indulgences.

De nos jours, dans la plupart des pays de l’U.E., la neutralisation est réalisée sérieusement. Si l’on excepte le fait que l’éjecteur ou le chargeur ne sont pas toujours neutralisés, la remise en état de ces armes de provenance étrangère est aussi difficile que pour celles qui ont été neutralisées par le banc d’épreuve de St-Étienne. Seules quelques armes, jadis neutralisées en Slovaquie et en Espagne, se sont révélées particulièrement faciles à remettre en état, mais comme elles ne répondaient pas à l’exigence légale d’une neutralisation de même niveau que celle pratiquée en France, elles étaient de toutes façons illégales.

On voudrait nous faire croire que puisque de rares armes neutralisées à l’étranger ont été remise en route c’est que la neutralisation étrangère n’est pas faite dans les règles. La vérité pourrait être différente : le choix des malfrats se porte sur ce type d’arme simplement parce que leur coût des moindre et qu’elles sont abondantes sur le marché. Elles demeurent tout aussi difficiles à remettre en fonction qu’une arme neutralisée par le Banc d’Epreuve de Saint Etienne, et parfois même plus.

La question des armes neutralisées demande à être rapidement prise en compte par les autorités, car à cause de leur prix modeste, ces armes constituent souvent la voie d’entrée dans la collection pour les plus jeunes collectionneurs qui n’ont pas les moyens d’acheter 1500 € un pistolet à silex modèle an XIII ou un Chassepot modèle 1866. Confronter dès leurs débuts ces jeunes collectionneurs à l’illégalité au risque de leur faire perdre la virginité de leur casier judiciaire est une très mauvaise action !

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Peu avant la chute du régime du Colonel Kadhafi, des émeutiers pillent un entrepôt militaire.(D.R.)

Y a-t-il beaucoup de collectionneurs d’armes prohibées en France ?

Du fait de la présence d’un nombre d’armes colossal laissé sur notre territoire par les deux conflits mondiaux, beaucoup de collectionneurs aujourd’hui sexa- ou septuagénaires ont à un moment ou à un autre collectionné les armes des deux guerres mondiales, car elles étaient disponibles en abondance, peu chères et pouvaient être facilement identifiées et évaluées grâce à la riche documentation existant sur ces sujets.

Certains de ces collectionneurs ont eu la sagesse de faire neutraliser les armes qui étaient alors classées en première ou en quatrième catégorie, mais beaucoup n’ayant pas le courage de faire mutiler des pièces historiques parfois de grande valeur, ont pris le risque de les conserver en état de tir.
La règlementation de 1939, qui était alors en vigueur, avait des aspects excessifs et, ainsi que l’écrivait Monsieur de Baumarchais : « tout ce qui est excessif est dérisoire ». Interdire la détention d’un fusil Lebel modèle 1886/93 au même titre que celle d’un pistolet P.38 ou d’un pistolet-mitrailleur MP 40 était dérisoire et indéfendable. Aussi beaucoup de collectionneurs ont-ils choisi d’ignorer la loi pour satisfaire leur passion et ceci avec d’autant moins de remords qu’ils appartenaient à des générations encore imprégnées de la tradition de la Résistance ou pendant quatre ans, il avait été patriotique et respectable de détenir, de rassembler et de cacher des armes interdites sous peine de mort par l’ennemi !

La société des années soixante dix-quatre vingt était moins violente que celle que nous connaissons aujourd’hui et un citoyen sans histoires, sans engagements politiques, collectionnant très discrètement, avait peu de risques d’être inquiété. Nous avons à cette époque vu des gendarmes, venus pour une démarche de routine chez un vieil Amiral, tomber en arrêt devant un revolver modèle 1892 prix de tir exposé dans une vitrine avec son coffret. Les gendarmes se sont contentés d’admirer sincèrement la beauté de la pièce et de conseiller (respectueusement) à son propriétaire de la placer à l’avenir à l’abri des regards : c’est tout à l’honneur de ces gendarmes qui ne cherchaient pas à faire du bilan pour doper les indicateurs chiffrés de leur brigade, mais qui considéraient les choses avec bon sens et humanité.

Il est vrai que ces sous-officiers avaient souvent vécu la guerre où il se passait des choses autrement plus sérieuses !

Depuis cette époque, la criminalité a pris un tour beaucoup plus violent et les forces de police (qui en sont souvent les premières victimes) ont abandonné toute tolérance envers les armes. Contraintes de « faire du bilan » à tout prix, certains services font du chiffre en s’attaquant à la proie la plus facile : les collectionneurs.

Par ailleurs, le matériel des deux guerres mondiales, jadis abondant et bon marché sur le sol français, s’est considérablement raréfié et les prix pratiqués rendent aujourd’hui sa collection aussi peu attractive que la sévérité des peines frappant les contrevenants. Il faut de toutes façons clairement souligner que ce type de trafic n’a jamais eu vocation à ravitailler la pègre.

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Combien de ces armes, pillées dans les arsenaux de Kadhafi, sont-elles aujourd’hui passées de l’autre côté de la Méditerranée à bord des go-fast (vedettes rapides) des trafiquants de drogue ? (Photo : US Coast guards)

L’entrée en vigueur depuis 2013 d’une nouvelle législation plus libérale sur certains points mais plus répressive sur les infractions, a fait évoluer la perception de beaucoup de collectionneurs. Le passage des fusils militaires à verrou en catégorie C, le classement en catégorie D2 de la plupart des armes d’un modèle antérieur à 1900 et l’autorisation pour les tireurs de détenir 12 armes de catégorie B tous calibres confondus, ont ouvert de nouveaux champs de recherches aux collectionneurs et ont convaincu beaucoup d’entre eux qu’il était désormais inutile de risquer de gros ennuis alors qu’ils pouvaient trouver leur satisfaction dans la légalité. Aussi les armes prohibées ont-elles aujourd’hui beaucoup moins d’amateurs que par le passé !

Les collectionneurs ravitaillent-ils la pègre ?

Le seul cas de ce type dont nous ayons connaissance, remonte à 1985, lorsque des armes rapportées du Liban par des militaires (mais aussi par des policiers) ont été revendues par leurs propriétaires après leur retour en France et ont abouti entre de mauvaises mains. L’introduction sur le sol français de ces souvenirs de guerre est aujourd’hui sévèrement pourchassée par le commandement, qui fait effectuer par la prévôté (gendarmes) un contrôle particulièrement serré des bagages des militaires revenant d’opérations extérieures. Ce contrôle est devenu tellement sévère que nos pauvres militaires se voient même souvent interdire de rapporter une simple baïonnette en souvenir !

En dehors de cette affaire un peu exceptionnelle et d’un cas ponctuel de revente de pièces détachées d’armes militaires par un employé d’un établissement du Ministère de la Défense, il n’y a à notre connaissance aucun cas de transfert d’armes du milieu des collectionneurs vers celui des malfaiteurs.

Que sont devenues les armes des anciennes armées communistes d’Europe ?

Dans le cadre de la préparation de la Troisième Guerre Mondiale et aussi pour assurer le fonctionnement de leur complexe militaro-industriel, les régimes communistes du Pacte de Varsovie ont fabriqué de colossales quantités d’armes dont certaines étaient stockées en arsenal comme réserve de mobilisation, alors que d’autres étaient offertes à des mouvements s’opposant dans le monde entier à l’OTAN et à ses alliés : mouvements anticolonialistes, organisations terroristes etc.. Le film d’Andrew Niccol avec Nicolas Cage comme vedette : « Lord of War » (le seigneur de la guerre) illustre parfaitement bien la période de perte de contrôle de ces immenses arsenaux, qui a suivi l’effondrement du communisme en Europe et la récupération d’une partie des stocks par des trafiquants.

Les guerres qui ont déchiré l’Europe centrale (ex-Yougoslavie, Kosovo, Géorgie etc.) ont favorisé la dissémination d’armes dans des populations qui ont aujourd’hui intensément besoin d’argent. Sous peine d’être accusé de discrimination, il est impossible de contrôler de fond en comble chaque autocar venant de ces régions, à son entrée dans l’espace Schengen. C’est ainsi que de petits lots d’armes entrent peu à peu chez nous et il ne s’agit ni de Nagant modèle 1895 ni de revolvers Bodeo !

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Destruction d’armes illégales en Chine : on peut constater que, même dans un pays où la population est très encadrée par la police, le trafic subsiste. (D.R.)

Nouvelles menaces en Méditerranée

De l’autre côté de la Méditerranée, l’effondrement du régime du Colonel Kadhafi s’est accompagné du pillage des arsenaux Libyens, que le bouillant Colonel, jadis animé par la volonté de soutenir et d’entraîner des terroristes du monde entier, avait abondamment approvisionnés en armements variés. Ces armes, dont on a perdu le contrôle, se sont répandues dans tout le Maghreb. Alors que la méditerranée est chaque jour sillonnée par des vedettes rapides transportant d’Afrique en Europe de la drogue et des clandestins, comment croire que ces embarcations ne recèlent pas aussi quelques armes à chaque passage ?

Le marché de la peur

Depuis quelques années, un sentiment d’inquiétude s’est développé chez nos concitoyens. Il est motivé par deux causes :
- la multiplication des agressions de personnes à leur domicile (« saucissonnages ») souvent accompagnées de violences, voire de tortures pour extorquer de l’argent aux victimes,
- la multiplication des émeutes urbaines qui se produisent sporadiquement dans notre pays.

Devant ces faits, beaucoup de citoyens qui ne s’étaient jamais intéressés aux armes, ni beaucoup préoccupés de leur sécurité, cherchent à se procurer un moyen de défense de leur domicile et de leur famille.

Les amateurs d’armes légaux (chasseurs, tireurs, collectionneurs) étant déjà plus ou moins pourvus du nécessaire, ne font pas partie des demandeurs, mais ces citoyens, dont l’inquiétude est légitime, pourraient bien constituer dans l’avenir une nouvelle clientèle pour les trafiquants !

Conclusion

Les services de police et de gendarmerie ont la lourde responsabilité de protéger notre société, chacun d’entre nous et nos familles. Leur tâche est difficile et l’on ne peut que regretter que ces fonctionnaires soient amenés à perdre un temps précieux en procédures pour des enquêtes concernant des collectionneurs.

La plupart des affaires dont l’UFA a eu connaissance ces derniers temps portaient sur des armes neutralisées importées de l’étranger. La publication, dans un premier temps, par les autorités d’une fiche technique répertoriant les points à vérifier pour s’assurer qu’une arme neutralisée à l’étranger est bien conforme à la législation française, permettrait de placer vendeurs et acheteurs devant leurs responsabilités.

Une correction du décret du 30 juillet 2013 remplaçant l’exigence que les neutralisations étrangères soient attestées par « un certificat et un poinçon » par « un certificat ou un poinçon » permettrait d’éviter de placer dans l’illégalité une foule de collectionneurs de bonne foi.

Enfin, une concertation avec nos partenaires européens sur le mode de neutralisation des armes à feu au sein de l’UE permettrait d’aboutir à des dispositions communes, qui évacueraient définitivement ce problème connu depuis des années.

Le diable tentateur
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Berlin 1990 après la chute du mur, on trouve partout des étalages sur lesquels sont vendus des souvenirs de l’ancienne armée Est-allemande et des troupes d’occupation soviétiques, mais on n’y vendait pas que des uniformes !

En 1989, lorsque le mur de Berlin est tombé, les garnisons soviétiques stationnées en Allemagne de l’Est sont restées encore quelques temps dans leurs casernes en attendant d’être rapatriées vers un pays qui n’était plus l’URSS de jadis et dans lequel ces défenseurs de la Patrie savaient qu’ils retrouveraient dans leur pays une situation économique désastreuse.

Cette angoisse des soldats russes fut à l’origine d’une gigantesque braderie d’équipements militaires, destinée à récupérer quelques devises occidentales qui permettraient à leurs famille de subsister jusqu’au retour d’une situation économique plus supportable.

Un de mes amis raconte : de passage à Berlin peu après la chute du mur, nous nous étions attardés sous la porte de Brandebourg devant l’étalage d’un marchand caucasien, qui proposait de magnifiques pièces d’uniformes, des insignes et des décorations soviétiques : autant de pièces et d’accessoires encore inconnus et de toutes façons jusqu’ici inaccessibles aux occidentaux. Le marchand nous voyant examiner avec curiosité un porte-chargeur de Kalashnikov ne tarda pas à m’ « accrocher » pour me proposer une Kalaschnikov en état de tir et quatre chargeurs pour l’équivalent de 150 € d’aujourd’hui.

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La chose était tentante car à l’époque l’AK 47 (et encore plus l’AK74) était une arme mythique que beaucoup d’amateurs d’armes occidentaux rêvaient simplement de pouvoir tenir en main et examiner mais, rentrant en avion en France le lendemain, un tel achat n’était vraiment pas envisageable.

Mais quelle aurait été notre attitude si nous avions été un activiste ou un malfaiteur à la recherche de ce type de matériel ?

- Désormais la chasse est ouverte. Il est évident que le collectionneur qui fait la une des médias, n’a rien a voir avec un malfrat, même si toutes ses armes ne sont pas neutralisées.

Le Chef d’escadron Olivier RIGAL de l’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale a déclaré sur France Info le 11 octobre 2014 « Si certains collectionneurs sont déviants, il ne faut pas en faire une généralité, pas d’amalgame ».





[1Il faut croire que le sujet intéresse car depuis sa mise en ligne, cet article a eu 40750 visites

[2Composée d’un groupe de collectionneurs et de tireurs possédant chacun plusieurs décennies d’expérience du monde des utilisateurs d’armes légaux, à défaut de connaître celui de la pègre

[3Ce que faisait régulièrement la société mise en cause.

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